Le sel by Olivia Ruiz

Première écoute, coup de cœur... Paroles profondes, musique très sympa, voix douce et articulation impeccable. J'aime les variations de ton, qui respectent la respiration de deux langues (le français et l'espagnol), j'aime l'adéquation de la musique et de la voix.
J'ai tardé à déposer ici ce petit bijou mais à force de l'écouter, à force d'être subjuguée, forcément les barrières de réticence tombent.

En écrivant cet hommage à son petit garçon, Olivia Ruiz choisit Le sel pour lui adresser un message d'amour et de conseils avec deux nuances linguistiques : quand le français employé se veut poétique et cajoleur, l'espagnol donne un discours plus profond, une conduite de vie. Touchant.

Quand tout fout l'camp,
Que la vie coupe mes jambes
Quand je pleure, quand tu trembles
Que notre terre flambe.
Quand tout semble insurmontable
Que mes forces me quittent
Que j'me cache sous la table.

Que mes heures se délitent.

Il suffit que tu apparaisses
Pour repousser les vents.
Il suffit que je te reconnaisse.

Car tu es le sel
La cannelle, le piment
Tu es le sucre, le miel
Je suis l'enfant
Tu es la cannelle, le piment
Émerveillée,
Je suis l'enfant.

Mi cielo, mi vida, mi amor, mi cariño, mi bichoncito
Mi cielo, mi vida, mi amor, mi bichoncito

Quand je m'ennuie
Que les jours perdent leur saveur
Quand la vie fuit
Qu'il ne reste que la torpeur.
Quand le froid me saisit et me fige.
Que la lassitude m'affaiblit et m'oblige.
Il suffit que je te regarde
Pour que le ciel s'allume.
Il suffit que je te regarde.

Car tu es le sel
La cannelle, le piment.
Tu es le sucre, le miel.
Je suis l'enfant.
Tu es la cannelle, le piment
Émerveillée,
Je suis l'enfant.

Mi cielo, mi vida, mi amor, mi cariño, mi bichoncito
Mi cielo, mi vida, mi amor, mi cariño, mi bichoncito

Tu sonrisa, mi gasolina
Tu piel, mi calma

Car tu es le sel
La cannelle, le piment
Tu es le sucre, le miel
Je suis l'enfant

Tienes el poder de escoger tu destino
El poder de escribir tu destino
Será a tu imagen
Más suave que el algodón
Más poderoso que el león
No seas sabio y obediente
Como a menudo te piden
Sé justo, tenaz y sincero
Sé sólo tú, sé sólo tú

[Nouvelle] Récitatif - Toni Morisson (entre **** et *****)

Récitatif est la seule nouvelle écrite par Toni Morisson, écrivaine de haut vol, prix Nobel de Littérature, qui ne laissait, jamais mais au grand jamais, rien au hasard. 

Toni Morisson présente deux fillettes Twyla et Roberta, deux itinéraires de vie qui se rencontrent lors d'un séjour de quatre mois dans un foyer, et qui n'auront de cesse de se recroiser, au gré des événements politiques et sociaux, rencontres qu'elles mettront à profit pour éclaircir un traumatisme de leur passé commun.

Dans Récitatif, Toni Morisson met au défi ses propres lecteurs et leurs préjugés, préjugés sur la couleur de peau et le déterminisme social. De Twyla et de Roberta, on ne connaît que leurs différences de couleur de peau et de mère, puis de leurs itinéraires de vie et de leurs convictions politiques. Avec subtilité, Toni Morisson distille quelques détails suffisamment précis pour qu'on comprenne les enjeux de l'évolution sociétale (la fin d'une ségrégation scolaire, les séparatismes sociaux) mais imprécis pour déterminer l'appartenance à tel ou tel groupe ethnique (et là, le grand art de Toni Morisson est de laisser actionner les représentations de chacun, moi la première qui suis tombée dans le panneau des désignations... quand Toni Morisson assure l'identité de ses deux héroïnes non plus par leur couleur de peau mais par leurs liens familiaux, leurs lieux de vie, leur personnalité...un peu comme un CV anonyme qui permet de s'intéresser avant tout à l'être intérieur sans connaissance de son adresse, de son visage etc). Et ce traitement est génial parce qu'il permet de revisiter la notion d'identité, qu'il universalise son propos et qu'il lie le fond et la forme : il biaise le physique et les stigmatisations souvent ancrées pour s'atteler surtout au comportement, à l'intrinsèque de la personne, ce qui l'a façonnée, ce qui la façonne.

Récitatif offre aussi une revisite d'un conflit scolaire, celui de décloisonner les quartiers et d'assurer une plus large mixité des esprits, des visages, d'une société. Cette nouvelle riche aborde aussi le déclassement social et les jeux de pouvoir entre dominants et dominés, sur l'humain comme sur l'économie : édifiant. 

Un seul bémol : une fin ouverte et frustrante, qui manque de corps par rapport au reste et relègue l'ultime secret aux calendes grecques.

Une lecture passionnante, accompagnée d'une étude éclairante et documentée de Zadie Smith. À lire absolument et à étudier pour sa richesse littéraire.

Éditions 10/18.
Traduction de Christine Laferrière

De la même autrice : Délivrances Home

La Photo du Mois #102 : Petit et grand modèle

 Sur une idée de Blogosth


Une literie qui représente l'héroïne de mon aînée quand elle était petite... Une époque révolue mais qui a forgé son caractère d'aventurière.
Bref une Dora modélisante en petit (oreiller) et grand (housse de couette) formats !

Les autres participations : Oth67, Agatheb2k, Passiflore, La tribu de Chacha, Cigalette, Soene, CathyRose, Beatrice, Marenostrum, Renepaulhenry, Patricia Metais, Cristine, Mémé Yoyo, Christophe, Elea Laureen, Renée

[BD] L'homme à la tête de lion - Xavier Coste ****

L'homme à la tête de lion est un roman graphique au trait de crayon vraiment beau. Au-delà du graphisme somptueux, Xavier Coste construit une histoire qui tient la route, issue de vraies tournées de Freaks dans les années 1930 aux États-Unis et en Europe. 

Dans L'homme à la tête de lion, on redécouvre l'époque où on exhibait les personnes avec des anormalies physiques, au cours d'un spectacle du cirque, les confinant à leur apparence et aux réflexions humiliantes, avec ce dilemme personnel pour ces artistes du spectacle : subir son apparence et même l'accentuer pour la gloire et l'argent, être constamment renvoyé à cette apparence qui isole et empêche l'acceptation de soi et celle des autres. Xavier Coste réussit le traitement avec brio, nous montre un héros fragile et fragilisé, rejeté par sa mère, utilisé par son père (son clone en plus vieux), ramené à l'instinct de bête, qui survit dans la micro-société des attractions monstrueuses, condamné à taire ses états d'âme, condamné à rester une tête d'affiche, au risque du pire : l'oubli et la perte de revenus.

Avec des dessins subtils dont certains s'apparentent davantage à des tableaux, Xavier Coste raconte les petites mesquineries, les tournées et les horaires à rallonge, les accueils mitigés, outrés ou enthousiastes, l'attraction scientifique, la solidarité et l'envie juste d'être soi et d'être apprécié tel quel. De cette lecture, je suis ressortie infiniment triste et émue, profondément empathique, comme j'ai pu l'être après le visionnage de Elephant Man de David Lynch
L'homme à la tête de lion : une lecture intéressante et qui fait réfléchir, un dessin très beau et travaillé.

Éditions Sarbacane

Emprunté à la bibliothèque

[Nouvelles] 13 à table ! - édition 2024 - J'ai dix ans

À partir du thème J'ai dix ans, 14 auteurs, brodent une nouvelle. 14 auteurs + Cyril Lignac, qui, lui, nous propose une recette de son cru, as usual.

Verdict : comme d'habitude, j'ai mes petites préférences. 

Tout d'abord mention spéciale à Raphaëlle Giordano qui avec son "On n'est pas des machines..." tient le rythme, la tendresse et un très joli moment de lecture. C'est structuré, entièrement suffisant et tout mimi. J'ai vraiment aimé ce récit d'une vie dans une vie avec une chute impeccable. La relation entre Wabo et Jules est attendrissante et l'effet de style est conservé du début à la fin de l'intrigue. 

Ensuite, il y a bien sûr le politique et salvateur J'ai dix ans ... demain de Michel Bussi que j'ai rarement vu en colère, mais là, c'est sourd, factuel, incarné et terriblement touchant. Cette nouvelle aborde l'itinéraire des migrants, leurs espoirs et un épisode maritime passé édifiant et malheureusement toujours d'actualité. À travers cette nouvelle, Michel Bussi questionne la frontière et la fraternité.

Tatiana de Rosnay montre une Arachnéide vengeresse et délicieusement machiavélique (42 ans de haine tenace et jubilatoire).

Franck Thilliez dresse Le Miroir d'un grenier terriblement efficace, et qui n'est pas sans rappeler le film Interstellar de Christopher Nolan, sans le sable mais avec la glace. Très réussi.

Le portail de Leïla Slimani reste bien mystérieux et bien fermé, qui peut devenir tour à tour espoir d'espace vital plus grand et une zone de repli. 

Lorraine Fouchet revisite un journal intime en peu de pages (le touchant Ceci est mon journal intime)

François d'Epenoux nous projette dans 69, année fatidique, dans un futur obscur qui a l'art de régler techniquement et sans scrupules l'espérance de vie et le poids des retraites. Un pitch intéressant et un traitement final qui l'est nettement moins. 

Karine Giebel
déplace une situation de harcèlement scolaire en polar inquiétant (sa zone de confort)...Une Chloé efficace avec un retour en classe aisé peu crédible.

Philippe Jaenada
reprend une scène de spectacle de Noël (un Garçon crêpon version plante verte, un écrit qui digresse moins que d'habitude).

Alexandra Lapierre
présente Les Escarpins, un conte de Noël... tout sauf un cadeau ! Une nouvelle bien construite mais avec une fin un peu attendue. 

Vous trouverez également deux histoires de famille construite ou à construire : L'Appartement de Romain Puértolas et Où en serions-nous aujourd'hui ? d'Agnès Martin-Lugand.

Vous y trouverez aussi le 22 de Maxime Chattam (une histoire en plein parallèle d'attentats) et La Fin de l'enfance de Patrick Besson.   

Un recueil de 13 à table ! de bonne facture avec du très bon et du divertissant et une première de couverture signée Riad Sattouf (comme toujours au rendez-vous en tous points). 

Éditions Pocket